Tout monde

Tout monde

« Quand vous y êtes venu, vous y revenez. »
Ah! C’est bien tourné, je vous dis, pour apprécier un pays d’où la pensée s’envole en détour pendant que le corps y roule à plaisir et bonheur, et où tout justement le détour n’a de sens, pour vous là immobile qui bouleversez ces inconséquences dans votre tête non décabossée, qu’à ce moment où le retour immanquable vous y plante (dans ce pays-là donc) en liane, en liane, et vous y situe, mais à grand large.

Un pays où la dérive de l’habitant, ce par quoi il tient à la terre, comme une poussière têtue dans l’air, c’est cet aller tout aussi bien que ce revenir, à tous les vents. Notre science, c’est le détour et l’aller-venir. Un pays ouvert, mais qui ne fut jamais déboussolé de son erre et d’où, si la pensée s’envole, ce n’est pas en fuligineuses déperditions.
Un pays éperdu dans ses calmes plats, mais qui ne s’est jamais perdu.
C’est de ses sortes de pays-là qu’on peut vraiment voir et imaginer le monde.

Edouard Glissant _ Tout-Monde _ Éditions Gallimard _ 1993